Résumé de La Convivialité d'Ivan Illitch
Publié le 3 février 2023 – Mis à jour le 3 février 2023
RÉSUMÉ
Dans cet ouvrage, Illich critique la croissance, l'industrialisation généralisée et l’asservissement des hommes aux outils. Il décrit ce que pourrait être une société post-industrielle « conviviale » où cohabitent autolimitation, équité, bien-être, créativité et autonomie.
Celle-ci implique une compréhension des outils qui nous dépassent puis une inversion de notre rapport aux outils.Illich ne suit pas un raisonnement linéaire. Il critique fortement l’école, la médecine, le système de transport et l’industrie de la construction, entre autres. Il revient sur ces différents exemples à chaque étape de sa démonstration, pour étayer ses propos. Ce résumé s’attache à restituer les grandes idées de son ouvrage. Celui-ci étant très synthétique, je ne peux que vous inviter à le lire en entier !
UNE INDUSTRIALISATION QUI NOUS DÉPASSE
Illich commence par dresser le constat suivant : le « monopole du mode industriel de production » et la croissance menacent nos sociétés. Il affirme : « Lorsqu’une activité outillée dépasse un seuil[…], elle se retourne d’abord contre sa fin, puis menace de destruction le corps social tout entier ». « Au stade avancé de la production de masse, une société produit sa propre destruction ».
Il identifie deux seuils critiques qui marquent la mutation d’un outil : « Dans un premier temps, on applique un nouveau savoir à la solution d’un problème clairement défini et des critères scientifiques permettent de mesurer la gain d’efficience obtenu. Mais, dans un deuxième temps, le progrès réalisé devient un moyen d’exploiter l’ensemble du corps social, de le mettre au service des valeurs qu’une élite spécialisée, garante de sa propre valeur, détermine et révise sans cesse. »
Plusieurs domaines auraient atteint leurs deux seuils de mutation : la médecine, les transports, l’éducation, les postes, l’assistance sociale, les travaux publics…
L’exemple le plus célèbre, et toujours terriblement d’actualité, est son analyse de la contre-productivité des voitures :
« Les véhicules créent plus de distances qu’ils n’en suppriment. L’ensemble de la société consacre de plus en plus de temps à la circulation qui est supposée lui en faire gagner. L'américain type consacre, pour sa part, plus de 1500 heures par an à sa voiture : il y est assis, en marche ou à l’arrêt, il travaille pour la payer, pour acquitter l’essence, les pneus, les péages, l’assurance, les contraventions et les impôts. Il consacre donc quatre heures par jour à sa voiture, qu’il s’en serve, s’en occupe ou travaille pour elle. […].A cet américain, il faut donc 1500 heures pour faire 10 000 km de route ; environ 6 km lui prennent une heure. »
UNE SOCIÉTÉ CONVIVIALE
Illich se donne pour objectif dans son ouvrage d’imaginer des modes de production post-industriels. Il décrit alors une autre société – qu’il appelle conviviale- qui se base sur un rapport différent aux outils.
« Ce n’est qu’en renversant la structure profonde qui règle le rapport de l’homme à l’outil que nous pourrons nous donner des outils justes. L’outil juste répond à trois exigences : il est générateur d’efficience sans dégrader l’autonomie personnelle, il ne suscite ni esclaves ni maîtres, il élargit le rayon d’action personnel. L’homme a besoin d’un outil avec lequel travailler, non d’un outillage qui travaille à sa place. Il a besoin d’une technologie qui tire le meilleur parti de l'énergie et de l’imagination personnelles, non d’une technologie qui l’asservisse et le programme. »
« J’appelle société conviviale une société où l’outil moderne est au service de la personne intégrée à la collectivité, et non au service d’un corps de spécialiste. Conviviale est la société où l’homme contrôle l’outil ».
Ainsi, il prône la déprofessionnalisation de certains domaines afin de rendre aux Hommes leur capacité à répondre eux-mêmes à leurs besoins, capacité innée d’après lui.
« Les hommes ont la capacité innée de se soigner, de réconforter, de se déplacer, d’acquérir du savoir,de construire leurs maisons et d’enterrer leurs morts »« Aujourd’hui, le soin, les transports, le logement [exigent] l’intervention de professionnels ».
Il illustre par la citation ci-dessous l’importance de la convivialité, qui a déjà sa place dans nos sociétés actuelles :
« L’homme ne se nourrit pas seulement de biens et de services, mais de la liberté de façonner les objets qui l’entourent[…]. Dans les pays riches, les prisonniers disposent souvent de plus de biens et de services que leur propre famille, mais ils n’ont pas voix au chapitre sur la façon dont les choses sont faites. Dégradés au rang de consommateurs-usagers à l’état pur, ils sont privés de convivialité. »
LES MENACES DU MONDE INDUSTRIEL
Illich décrit cinq dangers résultant de l’industrialisation, qui menacent l’équilibre du monde dans lequel on vit :
La surcroissance menace l’environnement
« On voit d’ordinaire dans le surpeuplement, la surabondance et la perversion de l’outil, les trois forces qui se conjuguent pour mettre en péril l’équilibre écologique. » Or d’après Illich, la perversion de l’outil est le facteur principal de destruction de l’environnement. Le surpeuplement et la surabondance en découlent, car on ne maîtrise plus ni nos moyens de contraception et de production, ni les valeurs qu’impose la surindustrialisation.L’industrialisation menace l’autonomie
Illich introduit le concept de monopole radical : « Le monopole radical est la domination d’un type de produit » au dépend de produits alternatifs. Par exemple, les voitures peuvent avoir le monopole de la circulation : « Les voitures peuvent façonner une ville, éliminant pratiquement les déplacements à pied ou à bicyclette, comme à Los Angeles. » « Que les gens deviennent impuissants à circuler sans moteur, voilà le monopole radical ». D’une manière similaire, l’école peut avoir le monopole radical sur le savoir et l’apprentissage, la médecine moderne sur les soins et la mort, les pompes funèbres sur les enterrements...La surprogrammation menace la créativité
Illich critique fortement l’institution qu’est l’école.« Dévié par et vers l’éducation, l’équilibre du savoir se dégrade. Les gens savent ce qu’on leur a appris, mais ils n’apprennent plus par eux-même. »
« Qu’apprend-on à l’école ? On apprend que plus on y passe d’heures, plus on vaut cher sur le marché.[…] On apprend à valoriser l’avancement hiérarchique, la soumission et la passivité.[…] On apprend, enfin, à accepter sans broncher sa place dans la société »
D’après lui, le savoir est ainsi devenu un bien qu’on marchande et qu’on consomme, et l’école un outil de programmation des populations qui étouffe la créativité et la liberté.
« Le savoir global d’une société s’épanouit quand, à la fois, se développent le savoir acquis spontanément et le savoir reçu d’un maître ; alors rigueur et liberté se conjuguent harmonieusement. »
La complexification des processus de production menace la politique
Illich décrit un monde polarisé où l’écart entre les riches et les pauvres se creuse, et où les riches ont de plus en plus de pouvoir : « Le pouvoir de décider du destin de tous se concentre entre les mains de quelques-uns. Et, dans cette frénésie de croissance, les innovations qui améliorent le sort de la minorité privilégiée croissent encore plus rapidement que le produit global ».Si la complexification des processus de production prive les « pauvres » de leurs droits à la parole, alors à contrario la dé-concentration du pouvoir politique est alors un véritable levier pour aller vers une société conviviale, car la société industrielle actuelle ne survivrait pas à un soulèvement des minorités qui réclamerait un travail égalitaire pour tous.
L’obsolescence menace les traditions.
On vit aujourd’hui dans l’« illusion que ce qui est nouveau est mieux ». Par cette croyance et l’usure grandissante des produits, consomme toujours plus sans s’interroger sur la pertinence des modes de vie et des outils du passé.« La logique du « toujours mieux » remplace celle du bien comme élément structurant de l’action » . L’innovation est alors vue comme une fin et un progrès en soi, et l’idée même de la limitation de la croissance effraie. Pourtant, dans une société conviviale, l’innovation au sens de spontanéité et créativité des individus serait plutôt renforcée, au dépend de productions industrielles universalisées.
L’INVERSION POLITIQUE
Selon Illich, il y a trois obstacles à l’inversion politique, c’est à dire l’inversion de notre rapport aux outils : « l’idolâtrie de la science, la corruption du langage quotidien et la dévaluation des procédures formelles qui structure la prise des décisions sociales. »Pour ce qui est de la corruption du langage, il prend pour exemple l’omniprésence du verbe avoir, qui est symptomatique de notre relation à la propriété : on a un travail, un abri, la santé. « L’homme pleinement industrialisé n’a en fait prise sur rien d’autre que sur ce qu’il consomme. Il dit : mon éducation, mes déplacements, mes loisirs, ma santé ». Le langage quotidien nous enferme dans une certaine représentation du monde et il devient difficile de faire émerger d’autres imaginaires avec ce langage.
Il affirme aussi que le droit est un outil à garder : « Une révolution qui néglige d’utiliser les procédures juridiques et politiques se condamne à l’échec ».