Schumacher, 1973
Ernst Friedrich Schumacher est un économiste britannique de la 2e moitié du XXe siècle. Economiste reconnu pour ses travaux sur la monnaie et le capital, il fut pendant 20 ans l’économiste en chef des charbonnages britanniques ainsi que membre actif de la Soil Association.
Small Is Beautiful: A Study Of Economics As If People Mattered est un recueil d'essais publié en 1973. Les critiques de Schumacher sur l'économie occidentale arrivent à la portée du grand public pendant le premier choc pétrolier et la reprise de la mondialisation.
La thèse de l’auteur débute par un tour du monde moderne actuel. Il constate que l’homme considère, à tort, le problème de la production résolu. Cette erreur s’explique par deux axiomes erronés : d’abord l’homme croit au mythe de la technique (plus tard, les humains sauront faire). Ensuite, l’homme considère la nature comme un revenu, dans lequel il puise exponentiellement. Ces axiomes sont issus d’une économie qui se nourrit des vices humains (usure, cupidité et avidité), en promettant que ce mal produira plus tard un plus grand bonheur. Cette illusion est bercée par les promesses technologiques et le croissant profit monétaire.
L’auteur démonte ces affirmations. Il démontre que l’homme moderne puise en fait dans un capital fini irremplaçable, de ressources fossiles, mais aussi en dépassant les marges de tolérances de la nature et en dégradant la valeur humaine (le consumérisme fait croire à l’homme qu’il « chappe à la condition misérable » que lui offre notre société). Il démontre que l’homme ne peut s’échapper à cette religion économique de la croissance et du gigantisme qui « institutionnalise l’individualisme et la non-responsabilité » sans changement profond de trajectoire. En effet les vices qui orientent dans l’ombre nos décisions économiques ne peuvent pas offrir paix et pérennité, à laquelle aspire notre société moderne.
Il conclut donc nécessaire :
L’auteur continue sa thèse en expliquant comment la gestion de nos ressources traduisent un mal profond, métaphysique, de notre société.
Tout d’abord, il constate que dans notre société, l’esprit et le cœur se font la guerre (système de valeurs contraire à celles qui contrôle notre modèle économique), par conséquent notre société souffre d’un mal métaphysique, nos convictions fondamentales n’identifient plus bien et mal. L’éducation – qui doit transmettre nos valeurs – doit alors enseigner à un niveau métaphysique, sinon elle ne fait qu’alimenter notre souffrance.
L’homme se borne à utiliser la terre uniquement à des fins productivistes, alors que celui-ci est censé s’humaniser et s’ennoblir en travaillant à proximité de la nature. Au contraire l’homme ne cesse de s’éloigner de son milieu naturel. L’heureux développement de l’industrie dans les villes détruit la structure économique dans l’arrière-pays ; celui-ci prend sa revanche en déclenchant des phénomènes migratoires incontrôlables vers les villes, causant des problèmes et paralysant la société. L’industrie en devient inefficace à un tel point qu’il est difficile de s’en rendre compte.
Ces constats sur l’utilisation des ressources s’expliquent par le fait que la technologie ne connait aucun principe d’autolimitation. La recherche technique et scientifique est orientée vers la croissance infinie, la déshumanisation et la violence (dont l’utilisation et la gestion du nucléaire est le sommet). En résulte des crises sociétales : révolte face à la nature inhumaine de la technologie, l’environnement vivant est malade, produire véritablement ne donne plus de prestige.
Quel rôle alors donner à la technologie ?
La technologie n’a plus son rôle initial d’alléger nos tâches de production. La société moderne s’est construite sur celle-ci, la technologie est devenue l’expression de nos vices, et gouverne notre modèle économique, donc politique. Dans un monde façonné par la technologie il faut lui donner un visage humain. Elle doit s’orienter vers la non-violence et l’harmonie avec la nature, l’homme est petit, il faut concevoir à son échelle. Mais pour modifier la trajectoire actuelle, il faut un effort d’imagination considérable et cesser de céder à la peur.
Schumacher continue sa thèse en critiquant le modèle de développement du Tiers monde. Les schémas qu’il observe sont en fait un miroir, plus explicit des problèmes que nous avons dans les pays développés. Cela s’explique par le désir des pays riches de reproduire leur modèle chez les pauvres, car ils en tirent du profit.
La philosophie du « ce qui est le mieux pour nous, les riches, l’est aussi pour eux, les pauvres » adoptée par l’Europe et l’Amérique dans leur stratégie d’aide des pays en développement ne permettent pas de les sortir de leur misère. Cela ne fait qu’accroitre leur dépendance envers les pays développées, dans ce qu’on pourrait appeler un néocolonialisme involontaire. Cela renforce une dualité économique des modes de vie de ces pays : quelques mégalopoles développées et urbanisées qui dominent un arrière-pays plongé dans la misère et le désespoir. Et par conséquent cela alimente le schéma migratoire et ses conséquences expliqué plus haut : le chômage rural entraine un flux migratoire qui entraine un chômage urbain.
On constate la nécessité de structure agro-industrielle dans les campagnes pour enrayer les mouvements migratoires vers les mégalopoles. Il faut construire du travail là où réside la masse populaire et pas là où ils émigreraient. Cela demanderai la création de million d’emplois. Le modèle occidental basé sur peu de main d’œuvre et beaucoup de capital (machines, techniques…) n’est ainsi pas adapté car la masse populaire est peu employable, surtout pour des postes hautement techniques.
L’aide de financement d’une industrie la plus productiviste avec un haut degré technologique n’est pas la bonne approche dans un contexte qui n’est pas prêt le recevoir. Il faut alors dépasser la croyance erronée que la productivité nécessite d’éliminer le facteur humain.
L’auteur prend appui sur un exposé de l’UNESCO sur l’application de la science et de la technologie pour le développement de l’Amérique latine pour introduire ce qui lui tient vraiment à cœur : la technologie de niveau moyen.
Il faut imaginer un modèle à faible coût en capital économique (machines à la pointe de la technologie …) et en complexité, qui s’appuie sur la mobilisation de la force ouvrière. Il faut développer à l’échelle régionale, et créer de la valeur pour ce territoire. On peut le traduire en terme économique : pour ces pays, il faut baisser le capital moyen par emploi, et créer plus d’emplois. Il s’agit bien d’une industrie à niveau de technologie moyen.
Quelle aide doivent alors apporter les pays développés ?
Le développement économique doit s’affirmer comme un vaste mouvement de reconstruction populaire, utilisant pleinement l’enthousiasme, l’énergie, l’intelligence et la force de travail de chacun. Il faut que les pays développés fournissent un savoir utile, émancipateur, pour briser la dépendance aux pays occidentaux. Cela signifie éduquer, organiser et discipliner toute la population, en commençant par les associations qui viennent en aide aux pays sous-développés. Cela passe par ranimer l’envie d’agir par ses mains de manière productive.
Même si souvent les caractères sociaux sont grandement prévisibles --car les gens n’agissent que mécaniquement, ou selon des plans qui éliminent toutes autres situations – la liberté et la responsabilité humaine rendent l’économie métaphysiquement différente de la physique. On ne peut prédire la liberté. Ainsi, une organisation qui se planifie uniquement sur l’ordre, réduisant à néant la liberté interprétera mal ses prédictions, et ne se dirigera pas vers la bonne voie. Il faut nécessairement de l’ordre et du désordre (de la liberté) dans une organisation pour atteindre un équilibre. L’essence de la vie économique est alors de concilier des contraires, continuellement, et ce sans les atténuer mais en les acceptants.
Or l’entreprise privée conservatrice est orientée vers un seul objectif : faire régner l’ordre pour maximiser le profit. Automatiser la croissance. Cela vient d’un certain déterminisme dans la compétition des propriétés privées, qui exploitent habilement les instincts humains de cupidité et d’envie pour toujours plus de croissance économique. Cependant l’augmentation du PIB ne peut résoudre les crises actuelles. La somme d’argent créer appartient à un intérêt privée et n’est donc pas disponible.
Schumacher trouve ainsi nécessaire de disséquer la nature de l’entreprise privée pour proposer un nouveau modèle. L’auteur distingue d’abord les propriétés de travail (entraine une entreprise locale, personnelle, ayant une grande utilité sociale) et les propriétés passives (entraine une exploitation dans une idée similaire à la dime féodale). Ainsi, on observe que plus la taille d’une entreprise est grande, plus la notion de propriété privée perd sa nécessité fonctionnelle. Schumacher propose de maintenir la propriété si elle va de pair avec l’exécution d’un service, et de l’abolir sinon.
Quels modèles alors ?